Éclairage sur les différentes manières dont la persécution quotidienne est expérimentée tout au long de la vie des chrétiens persécutés. Du berceau à la tombe et même après…
215 millions de chrétiens restent aujourd’hui encore fortement persécutés dans le monde. Cette persécution ne s’exprime pas toujours sous une forme sanglante : la violence peut s’opérer de manière plus subtile, plus prégnante, à chaque étape de la vie.
Naissance et enfance : quand les chrétiens ne naissent ni ne grandissent libres et égaux en droit
Quand votre religion est inscrite sur vos papiers d’identité dès la naissance
Dans beaucoup de pays de l’Index Mondial de Persécution des Chrétiens, l’affiliation religieuse est inscrite sur les papiers d’identité dès la naissance - et restera presque impossible à changer tout au long de sa vie. C’est le cas en Égypte. La mention d’une religion minoritaire sur les documents officiels amène souvent des complications voire une forme de persécution administrative. Certains pays vont jusqu’à remettre en cause la citoyenneté des chrétiens : aux Maldives, tout citoyen est officiellement musulman, s’il se convertit à une autre religion, il perd sa citoyenneté et devient apatride. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme déclare que «tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits» et que chaque individu a le droit «de changer de religion ou de conviction». Ces droits restent un rêve encore éloigné pour de nombreux chrétiens.
Quand l’école est un lieu de discrimination avant d’être un lieu d’apprentissage
L’école, dans beaucoup de pays, n’est pas seulement le lieu de l’apprentissage des savoirs, mais aussi celui de l’apprentissage de la persécution. Loin d’être un environnement laïc, l’école n’assure hélas pas partout la garantie des droits à la liberté religieuse des élèves. Dans certains pays, les programmes scolaires obligatoires n’enseignent qu’une religion.
Exemple au Myanmar : les écoles publiques Na Ta La[1] enseignent le bouddhisme aux élèves, parfois forcés à participer aux prières et cérémonies. Souvent les enfants chrétiens font l’objet de moqueries de leurs camarades et de discriminations de la part des enseignants.
Exemple en Égypte : une chrétienne copte égyptienne se souvient : «Les parents disent aux autres enfants que nous sommes impurs. Nous sommes condamnés à rester au fond de la classe. Les maîtres d’école ne daignent même pas nous interroger». Un enfant copte, tourmenté par le rejet dont il était l’objet, a même essayé de s’enlever son tatouage de croix (traditionnellement les coptes ont une petite croix tatouée sur le poignet) avec un couteau.
À l’adolescence, l’impossible ascension sociale et l’angoisse du kidnapping
La discrimination se poursuit bien souvent à l’université, bloquant l’accès des chrétiens aux hautes fonctions publiques, à moins qu’ils ne cachent leur foi (ce que rapportent des chrétiens de Turquie ou du Kazakhstan). Cette pratique s’inscrit dans une logique de paupérisation des minorités religieuses, en obligeant notamment les étudiants à redoubler pour payer plusieurs fois les frais d’inscription. C’est le cas d’une jeune étudiante au Bhoutan, forcée à redoubler malgré ses bonnes performances scolaires, car elle était ouvertement chrétienne.
Mais la grande angoisse du quotidien pour des milliers d’adolescentes chrétiennes, c’est de se faire enlever. Il s’agit d’une pratique dramatiquement courante dans certains pays, notamment l’Égypte, où les chrétiens sont persécutés. Les motivations mêlent le culturel (tradition de l’enlèvement «amoureux») au religieux (idée de «gagner» une chrétienne à une autre foi via le mariage forcé - les futurs enfants héritant automatiquement de la religion paternelle) et les kidnappings impliquent souvent des violences sexuelles. Les effets sont traumatisants pour les jeunes filles mais aussi pour leurs familles et pour toute la communauté chrétienne, brisant les liens sociaux.
Exemple au Pakistan : on estime que près de 700 jeunes filles chrétiennes sont enlevées et mariées de force à des musulmans chaque année au Pakistan.
Exemple au Nigéria : la jeune chrétienne de 15 ans Leah Sharibu, kidnappée en février 2018 par une faction issue du groupe Boko Haram, est toujours retenue car elle refuse de renier sa foi : fin août elle en appelait au Président du pays dans un message audio.[2]
L’âge adulte et le mariage : fonder une famille et en prendre soin, le fardeau des minorités chrétiennes
Dans bien des pays, conversion au christianisme rime avec solitude ou avec mariage forcé organisé par la famille.
Mariage forcé, violences conjugales, divorce : quand le conjoint n’accepte pas la foi de l’autre
Ces pratiques sont rarement rapportées car cachées par la famille ou considérées par les autorités comme des affaires privées : elles restent néanmoins le tourment quotidien de milliers de chrétiens.
Exemple en Colombie : Soraya et Herman (pseudonymes), deux jeunes filles d’une tribu indigène de Sierra Nevada de Santa Marta en Colombie, ont été convoquées en 2017 par le conseil de leur village. Il leur a été demandé de renier leur foi chrétienne, sans quoi elles seraient mariées de force à des hommes pratiquant les rituels animistes tribaux.[3]
Beaucoup de femmes, ayant ainsi quitté la foi majoritaire dans leur communauté pour adhérer au christianisme, se trouvent chaque année mariées de force, généralement à un pratiquant très actif de la religion familiale. Dans le cas où une personne se convertit à la foi chrétienne après s’être mariée, la réaction du conjoint peut s’avérer radicale voire violente.
Les pays où le risque pour les chrétiens est le plus grand d’être enlevés ou soumis à un mariage forcé (pour les femmes) sont la Corée du Nord, la Somalie, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Irak. En Somalie, en Afghanistan et dans certaines régions du Pakistan, si une femme est suspectée de s’être convertie au christianisme, elle sera punie en étant mariée de force à un musulman. Au Pakistan, les jeunes chrétiennes sont enlevées, violées, mariées et converties de force. On estime que cela arrive chaque jour à deux jeunes filles. En Irak, les jeunes chrétiennes sont particulièrement vulnérables aux enlèvements et trafics humains.
La discrimination à l’emploi ou comment paupériser une minorité religieuse
Pour beaucoup de chrétiens dans les pays de l’Index Mondial de Persécution, nourrir sa famille reste un défi quotidien. En effet, un phénomène de discrimination dans le monde du travail paupérise la minorité chrétienne de manière systématique (en particulier dans les pays où l’affiliation religieuse figure sur les papiers d’identité), aggravant sa vulnérabilité. Cette forme de discrimination peut s’étendre à l’accès aux soins et aux services publics : coupures d’électricités planifiées (Mexique), détournement des canalisations (Inde), accès interdit au puits de la communauté (Bangladesh)etc.
Exemples en Égypte : des chrétiens égyptiens rapportent comment ils sont touchés par cette forme de persécution : refus de promotion dans le secteur public en raison de sa foi ; affiche dans un des établissements d’une chaîne de sandwicherie indiquant «on ne recrute pas les chrétiens» ; boycott des échoppes des chrétiens sur les marchés…
Exemple au Pakistan : en 2017, Irfan Masih, un chrétien de 35 ans, est mort à l’hôpital d’Umar Kot parce que trois médecins ont refusé de le soigner. L’homme, intoxiqué alors qu’il curait des égouts, n’a pas été pris en charge parce qu’il était sale, qu’il était chrétien (de caste inférieure) et que c’était la période du ramadan.
Vieillir et mourir persécuté, puis ne pas pouvoir être enterré
Le respect des anciens… sauf pour les chrétiens
Dans la plupart des cultures en dehors de l’Occident, le respect des anciens est une valeur traditionnelle et fondamentale. Or pour les chrétiens, gagner en âge ne signifie pas bénéficier d’une quelconque clémence de la part des persécuteurs. D’une part, parce que ces chrétiens qui ont su garder la foi malgré les discriminations au fil des années ne renieront pas leur Dieu, utilisant leur temps pour s’investir dans les églises et instruire la jeune génération.
Exemple au Mexique : Dominga et Natalia, deux femmes chrétiennes évangéliques de plus de 70 ans, se rendent tous les dimanches à 40 km de leur domicile, dans l’État de Oaxaca. Sur le chemin, elles subissent les injures et les menaces de leurs voisins.
Les anciens occupent généralement des postes de responsables d’église, et sont donc souvent pris pour cible lors d’attaques antichrétiennes. D’autre part, les persécuteurs exploitent généralement la vulnérabilité de leurs victimes : ainsi les vieillards sont-ils régulièrement humiliés.
Exemple au Turkménistan : Lors d’une descente dans une église de maison au Nord du pays, des policiers ont fait sortir un chrétien de 77 ans en le saisissant par le col de son vêtement pour le ridiculiser devant sa famille. Sa femme, âgée de 68 ans, a, quant à elle, été battue jusqu’au sang.
Il n’est pas rare que des chrétiens âgés trouvent la mort suite à des agressions physiques, notamment lors d’émeutes antichrétiennes en Inde ou au Pakistan. En Somalie, les jeunes de la génération des années 1990, professant un islam radical et intolérant, vont parfois jusqu’à tuer leurs propres grands-parents s’ils sont chrétiens.
Exemple en Inde : fin 2016, dans le village de Dokawaya, une femme chrétienne de 55 ans a été mise à nu, battue à mort puis brûlée car son fils et sa belle-fille étaient des croyants très engagés.
Le rejet de la société jusqu’après la mort : funérailles et enterrements interdits
Dans la majorité des pays de l’index, les chrétiens éprouvent des difficultés autour des funérailles des membres de leur communauté. Les pays où les problèmes rencontrés autour des enterrements sont le plus aigus sont : l’Afghanistan, le Bhoutan, la Libye, les Maldives, le Népal, la Corée du Nord, la Somalie et le Yémen. Ces derniers mois en Égypte, la communauté copte a aussi été confrontée à de telles difficultés.
La persécution «poursuit» le défunt jusque dans la tombe : la question des rites pour l’enterrement d’un converti au christianisme issu d’un autre arrière-plan religieux divise profondément les familles et les communautés. À la douleur d’avoir perdu un être cher s’ajoute une série de complications liées aux funérailles.
Dans beaucoup de pays nord-africains il est également très difficile pour les chrétiens d’arrière-plan musulman de procéder à de tels enterrements. La famille élargie et le voisinage du défunt ne le permettraient pas, même si celui-ci était chrétien.
En Azerbaïdjan, les autorités locales refusent parfois de reconnaître le décès d’un converti, bloquant ainsi les procédures liées à l’héritage. Les Népalais sont contraints de procéder à des enterrements secrets en forêt. C’est parfois la parenté du défunt qui va refuser d’accueillir le corps dans leur village, considérant que cela entacherait leur honneur, ou qui va sommer le conjoint de renier sa foi. Une situation douloureuse, pérennisée par l'entrée en vigueur de lois anticonversion cet été au Népal.
Exemple au Bhoutan : il est très difficile pour les chrétiens qui viennent d’un arrière-plan bouddhiste d’organiser un enterrement selon les rites chrétiens car le christianisme n’est pas reconnu dans le pays. Les enterrements se font souvent la nuit, dans des endroits retirés, et en secret. Les chrétiens bhoutanais préfèrent même aller enterrer leurs morts en Inde voisine.
Exemple au Tadjikistan : En juin 2018, un père de famille converti au christianisme s’est heurté aux religieux locaux qui ont refusé de le laisser enterrer son épouse au cimetière, alléguant que l’épouse décédée et son mari étaient des « traîtres à l’islam ».
Quelles réponses ?
Les multiples facettes de la persécution des chrétiens
La méconnaissance des multiples formes de la persécution coïncide souvent avec l’impunité des persécuteurs et avec une aide mal adaptée aux persécutés. Circonscrire la persécution des chrétiens à la violation de la liberté de religion (alors que bien souvent tout un ensemble d’autres droits fondamentaux - expression, libre association, sûreté de la personne, égalité devant la loi - sont piétinés) ou à son expression la plus violente et visible s’avère une erreur trop commune.
Mieux connaître la persécution pour mieux y répondre
En Irak, les donateurs de Portes Ouvertes ont financé la reconstruction ou la restauration de 687 maisons dans les villages de la plaine de Ninive sur l’année 2017. Au niveau international et européen, Portes Ouvertes promeut l’établissement d’un Mécanisme de Redevabilité National pour l’Irak, chargé d’apporter une justice transitionnelle efficace pour les cas de violences contre les minorités, essentiel pour la réconciliation nationale et l’avenir des chrétiens.
En Algérie, le gouvernement menace de fermeture plusieurs églises de l’Église Protestante d’Algérie. Portes Ouvertes encourage les journalistes et les hommes politiques à exprimer leur intérêt vigilant sur ces violations à la liberté religieuse des chrétiens.
Au Pakistan, les chrétiens sont rejetés par la société, reclus dans des sortes de ghettos. Surtout, la plupart ne savent ni lire ni écrire et sont donc particulièrement vulnérables, régulièrement exploités par leurs employeurs. Les partenaires Portes Ouvertes, grâce au soutien financier de donateurs particuliers, leur proposent au travers de partenaires locaux des cours d’alphabétisation, suivi d’une formation professionnelle qui leur permettra de découvrir de nouvelles perspectives d’avenir. Ils peuvent ensuite subvenir aux besoins de leur famille, apprendre à lire à leurs enfants et lire la Bible par eux-mêmes.
L’ONG Portes Ouvertes, forte de ses 60 ans d’aide aux chrétiens persécutés et de son réseau de partenariat avec les églises locales, s’efforce d’apporter le soutien le plus adapté à chaque situation et de traiter les causes profondes de la persécution.
[1] Écoles particulièrement attractives pour les minorités car sans frais d’inscription
[2] Sur le réseau social tweeter, un hashtag a été créé «#BringBackOurLeah» (Faites revenir notre Leah), à l'instar de celui qui avait été lancé par Michelle Obama pour les filles kidnappées de Chibok, «#BringBackOurGirls»
[3] Elles ont pu trouver refuge dans un centre d’accueil de Portes Ouvertes