Qu'ont vécu les Arméniens du Haut-Karabakh? René Léonian, pasteur arménien en France est allé à leur rencontre. Il raconte:
René Léonian est un pasteur arménien de l'Église évangélique arménienne basée en France, et membre du Conseil d'Administration de Portes Ouvertes France. Il nous parle du récent conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et de ses rencontres avec des chrétiens arméniens touchés par cette guerre:
«Les Arméniens vivent au Karabakh depuis 3.000 ans. Ils sont attachés à leur terre. Les Arméniens de l'Artsakh (nom arménien du Karabakh) vivent un véritable cauchemar depuis le 27 septembre 2020. En effet, l'Azerbaïdjan a lancé une attaque militaire contre l'Artsakh d'une ampleur sans précédent. De nombreuses batailles ont fait rage. L'armée arménienne s'est défendue du mieux qu'elle a pu. La vie de 150.000 chrétiens arméniens en Artsakh était en danger. Très rapidement, plus de 90.000 civils arméniens de l'Artsakh ont trouvé refuge en Arménie, principalement des femmes, des enfants et quelques personnes âgées.
Cela rappelle le génocide arménien
J'étais en Arménie entre le 10 et le 17 octobre 2020. J'ai rencontré plusieurs familles déplacées à Erevan, la capitale, et dans d'autres villes. J'ai eu le cœur brisé en écoutant leur histoire. C'est vraiment une persécution pour leur foi en Jésus-Christ et leur appartenance à la plus ancienne nation chrétienne. En effet, les Arméniens ont accepté le christianisme comme religion d'État en l'an 301. Imaginez maintenant leur douleur; les maisons détruites; les êtres chers blessés ou tués au combat; le bombardement aveugle des civils, des infrastructures, des églises, des écoles et des hôpitaux. L'armée azerbaïdjanaise, soutenue par l'armée turque et des milliers de djihadistes musulmans de Syrie, a commis de véritables crimes de guerre. Il s'agissait d'un véritable nettoyage ethnique.
Cela rappelle le génocide arménien commis par le gouvernement turc en 1915, avec 1,5 million de victimes. C'est l'histoire de mes grands-parents, survivants de ce génocide et accueillis en France il y a 100 ans. À Vanadzor, j'ai rendu visite à deux familles de soldats morts au front, toutes deux membres de notre église à Vanadzor. Comment pouvais-je consoler leurs parents, leurs femmes, leurs enfants? J'ai alors réalisé l'importance de la solidarité en Arménie et du rôle de la diaspora arménienne. J'ai été encouragé par l'action de nos églises soutenues par des associations humanitaires chrétiennes: "Hope for Armenia" en France et AMAA aux États-Unis.
Visites aux familles touchées
La première famille que j'ai visitée à Vanadzor est celle de Meher. Meher a été tué au front par un sniper ennemi. Marié depuis deux ans, il laisse derrière lui sa femme, ses parents et sa grand-mère dans un deuil indescriptible. La deuxième famille est celle de Hovig. J'ai rendu visite à sa femme, à ses deux enfants et à sa mère. La petite Maria, qui n'a que deux ans, ne comprend pas ce qui se passe, mais elle commence à désirer son père. Quant à Nelson, six ans, il nous a simplement dit:
«Je suis très triste, mais je sais que mon papa est maintenant au ciel avec Jésus.»
J'ai également rendu visite à la vingtaine de personnes réunies au siège de Hope for Armenia à Erevan. Les adultes étaient inquiets, les enfants semblaient plus calmes. Après un moment de partage, nous avons pu prier et mettre tous leurs soucis entre les mains de Dieu.
J'ai ensuite rendu visite à de nombreuses familles dans notre centre de vacances situé à Hankavan (à 70 km d'Erevan). Environ 150 personnes ont pris un répit dans cet environnement paisible et magnifique. Quelle joie de voir ces enfants profiter de la nature et de l'air frais ! Un programme spirituel était organisé chaque jour: enseignement biblique, chants et prières.
Tard dans la soirée, nous avons rendu visite à une famille locale qui avait accueilli 20 personnes dans sa grande maison à Erevan, dont 10 jeunes adultes et 10 enfants. Pendant que les enfants dormaient, nous avons passé près de deux heures à essayer de comprendre ce qui se passait. «Pourquoi tant de haine, de violence, de destruction? Pourquoi le monde civilisé n'est-il pas intervenu pour condamner l'agression de l'Azerbaïdjan? Pourquoi a-t-on laissé un peuple chrétien se faire littéralement massacrer sans aide?» Ce groupe de personnes était composé de croyants apostoliques (orthodoxes) et évangéliques qui attendaient la délivrance de Dieu et se demandaient comment Dieu allait les sortir de cet enfer.
À côté de moi était assis un couple de personnes âgées dont le fils venait d'être tué au front. Ils étaient retournés la veille à Artsakh, à Stepanakert, pour les funérailles de leur fils et ils étaient là pour écouter mes explications sur la question du conflit. J'ai alors réalisé qu'il valait mieux que je me taise et que j'écoute ce que les participants voulaient dire.
Que veut nous dire Dieu?
C'est alors qu'une jeune fille nous a tous interpellés, en nous disant simplement: «Que veut nous dire Dieu à travers tout ce que nous vivons aujourd'hui?» Elle a poursuivi en nous rappelant que dans la Bible, à certains moments cruciaux, Dieu est intervenu par l'intermédiaire de ses serviteurs ou de ses prophètes, pour annoncer ou expliquer ce qui se passe ou ce qui va se passer. Et elle a déclaré avec insistance:
«Aujourd'hui, nous avons besoin d'un homme de Dieu pour nous expliquer pourquoi nous traversons ce que nous vivons et quel sera le résultat de tout cela».
C'est en larmes que nous avons ensuite remis toutes choses entre les mains du Seigneur.
Après cette semaine passée en Arménie où j'ai également eu l'occasion de rencontrer des hauts fonctionnaires de l'Etat arménien, des journalistes, des intellectuels et des fidèles de différentes églises, je suis rentré en France bouleversé par toutes ces tragédies. J'ai compris une fois de plus l'importance du lien humain, de la compassion, et de l'entraide. Est-il possible d'échapper à tout cela et de reconstruire? Certainement. Mais avec beaucoup de difficulté si nous sommes seuls et que nous gardons le silence.
Continuons à soutenir l'Arménie et l'Artsakh. Et surtout, continuons à prier pour la paix et pour l'établissement de la justice de Dieu. Notre monde ne va pas bien aujourd'hui: guerres, cataclysmes, épidémies, intolérance, peur... Nous devons nous rapprocher à nouveau de notre Seigneur qui a promis d'être avec nous tous les jours jusqu'à la fin du monde. Comme il est réconfortant de savoir que le Seigneur est proche de nous.
Sujets de prières
- Prions pour une paix juste et durable au Karabagh
- Prions pour les blessés de la guerre ainsi que pour les familles endeuillées
- Prions pour les personnes déplacées
- Prions pour les églises et le témoignage des disciples de Jésus-Christ. »
René Léonian, pasteur de l'Église évangélique arménienne basée en France.